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Fécule 2025 - La Réunification des deux Corées

Mona De Palma

24 juin 2025 à 19:45:25

Fécule 2025 - La Réunification des deux Corées

L’année passée, les Polyssons avaient réinterprété avec brio La Visite de la vieille dame de Friedrich Dürrenmatt. Cette année, changement de ton, avec la reprise de La Réunification des deux Corées, écrite par Joël Pommerat. En treize fragments, la troupe nous emmène à la découverte de l’amour.


En entrant dans la salle, on aperçoit trois rangées de chaises rouges au fond de la scène, où on nous demande de nous asseoir en premier. La pièce se jouera donc recto-verso, avec des spectateurs devant, et derrière. Ce dispositif, inhabituel, est vite oublié lorsqu’on remarque une poupée habillée en bleu, et pendue au plafond.

Les lumières s’éteignent, et voilà que deux employé·es de ménage, habillé·es en bleu – comme la poupée – entrent en scène, balai à main. À l’arrivée de la troisième employée, les deux autres s’empressent de lui cacher le pendu. Cette troisième femme entame alors un discours exalté, et complètement déconnecté de la réalité : elle est déterminée à divorcer de son mari, avec qui la vie n’est plus supportable, non pas pour en finir avec son couple, mais au contraire pour pouvoir séduire à nouveau son mari, en espérant qu’il redevienne ainsi l’homme charmant du début. A la réaction de ses collègues, on comprend que le pendu a été placé là par ledit mari, en guise de menace. Un nouveau départ semble compromis…

Ce premier personnage souffre d’un amour inconditionnel, qui ne l’aveugle pas - elle sait que sa situation actuelle est intenable - mais qui déforme la réalité au point de lui faire croire qu’à force de persévérance, son couple sera sauvé. Si ses intonations et l’absurdité de son raisonnement font rire le public, c’est un rire jaune. On ne peut s’empêcher de ressentir un pincement au cœur devant son aveuglement, qui la conduira sans aucun doute dans une situation pire qu’avant. 

Durant tout le spectacle, composé d’une suite de scènes autonomes, on oscille entre rire, gêne, voire malaise, comme lorsque ce professeur est accusé d’attouchements par des parents d’élève et que l’ambiguïté persiste, même à la fin de la scène. Les différents personnages nous proposent plusieurs visions de l’amour, toutes teintées de tragique, qui nous mettent face à nos contradictions lorsqu’il s’agit de sentiments. La plus poignante est celle d’un jeune homme, tentant de vendre ses charmes à un passant. Il baisse son prix, encore et encore, jusqu’à lui proposer sa dernière offre : “Si je me donne à toi gratuitement, t’as envie ou t’as pas envie?” Il ne s’agit plus de relations charnelles tarifées, mais de confiance en soi, dont le jeune homme a tant besoin qu’il est prêt à renoncer à tout argent.

La variété des relations présentées - amoureuses, amicales, familiales - offre un tableau nuancé de l’amour. Surtout, toutes ces relations sont traitées avec la même intensité. L’un des deux meurtres de la pièce est d’ailleurs un meurtre amical. L’amour n’est plus seulement ce qui unit le couple hétérosexuel, il peut revêtir plusieurs formes, qui n’affectent en rien sa puissance. Cette pièce célèbre ainsi d’une façon douce amère l’amour qu’on maudit, l’amour qui nous rend fou, mais l’amour dont on ne peut se passer.

Le propos de la pièce est magnifiquement soutenu par les acteurs qui, malgré quelques faux pas, incarnent parfaitement leurs personnages torturés. La mise en scène est simple et les transitions entre les scènes maîtrisées, tirant un parti intelligent des éléments de décor et des costumes. Assise au fond de la scène, la disposition particulière du public ne m’a pas paru apporter grand chose. C’est sans doute mieux ainsi : les textes et la performance des acteurs est telle qu’ils n’ont pas besoin d’une mise en scène particulière, qui ne ferait que noyer cette très belle pièce.


La réunification des deux Corées, par les Polyssons

Texte: Joël Pommerat

Mise en scène: Eugénie Bouquet, Laurène Buriot, Rémi Claude, Eren Firat, Antoine Klotz

Jeu: Benjamin Ansermet, Patricia Burch, Laurène Buriot, Julie Dick, Eren Firat, Anatole Frund, Raphaël Lemerle, Wilson Felipe Osorio Moreno, Myriam dos Santos Pêgo, Klara Schmitt

Création lumière: Valentine Cuenot

Création son: Lou Meyer

Aide à la scénographie: Nora Bugmann

Régie plateau: Kieran Bezençon, Antoine Klotz

Graphisme: Eugénie Bouquet

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