top of page
< Back

Fécule 2025 - Dans ma chambre

Jeanne Blanc

24 juin 2025 à 16:15:34

Fécule 2025 - Dans ma chambre

En invitant le public à s’installer au cœur de la scène, Jimmy Capdevila brouille, dès l’entrée en salle du public, les frontières entre spectateur et spectacle. C’est dans cette atmosphère intimiste et enveloppante, Dans Ma Chambre ouvre la porte aux voix entremêlées de trois jeunes femmes qui dévoilent, à travers leurs espaces, l’expérience commune de grandir. 


Le public est accueilli par le metteur en scène lui-même. Au lieu de se diriger mécaniquement vers les sièges qui font face à la scène, il nous demande de nous installer directement sur celle-ci. Chaque personne, un peu déconcertée, vient donc s’asseoir au milieu des plaids froissés, dans le grand espace libre au centre. Déjà, le metteur en scène Jimmy Capdevila donne le ton en invitant ses spectateurs, de plus en plus nombreux sur la scène, à se « mettre à l’aise », les faisant ainsi devenir partie intégrante du spectacle qui s’apprête à commencer. Autour du public, on distingue deux lits : à droite, un lit en métal rose entouré de mobilier violet ; à gauche, un simple matelas posé sur des palettes en bois, recouvert d’un drap à motifs. Dans le fond, d’autres palettes en bois sont arrangées pour former un plan incliné. La pièce est rythmée par trois voix féminines jamais concrètement nommées : une succession de témoignages fragmentés qui oscillent entre adresse directe et monologue intérieur.



La première d’entre elles commence à évoquer des souvenirs liés à sa chambre. Elle s’exprime de manière très descriptive, en mettant l’accent sur les aspects spatiaux. Elle rattache certains souvenirs à ces éléments, mais reste vague, plutôt poétique. Son monologue est ponctué de références populaires comme l’année de sortie de Paparazzi par Lady Gaga ou encore des mentions de Pirates des Caraïbes et Le Seigneur des Anneaux. Elle est suivie d’une nouvelle narratrice, un grand sourire affiché sur les lèvres. Elle aborde son monologue à la deuxième personne, en allant cette fois plus en profondeur dans la mémoire émotionnelle et l’intimité. Sa personnalité spontanée et joyeuse laisse parfois transparaître une fébrilité intérieure, qui fait vaciller son discours entre éclats de joie et accès d’anxiété. Son rapport à sa chambre est beaucoup plus marqué et sacré que celui de la locutrice précédente. Elle exprime une inquiétude face au temps qui passe auquel elle tente de se raccrocher à travers des objets comme des carnets ou des photos. Finalement, intervient l’ultime locutrice, assise en haut des gradins, elle a oublié que c’était son tour. Un quiproquo s’installe entre les trois protagonistes, puis elle commence son récit avec réticence. Elle dit ne plus vraiment se souvenir de sa chambre, qu’elle décrit comme un espace parmi d’autres. En l’écoutant, le spectateur comprend que ce désintérêt apparent masque en réalité des souvenirs désagréables, toujours présents dans la pièce où elle a grandi. Comme la seconde, son monologue sera interrompu par des accès de colère ou de tristesse, pris en charge par les deux autres narratrices. La pièce se tisse peu à peu à travers des ajouts d’anecdotes ou des échanges entre les trois protagonistes.

Dans ce spectacle, on ressent une ambivalence déstabilisante entre monologue et dialogue. Le spectateur, placé au centre de l’action, devient le premier interlocuteur des récits, car les personnages posent régulièrement des questions en s’adressant directement à une personne du public. Le spectacle semble contenir une part d’improvisation, voire de désorganisation, autour des trois témoignages. Pourtant, malgré quelques petits imprévus logistiques, on sent une interprétation précise des personnages, et donc une solidité dans l’écriture qui crée un voile subtil entre les locutrices et le public. Mais cette ambiguïté est renforcée par les mentions de ce que Jimmy a dit pendant l’écriture du spectacle, et par la confusion entre les prénoms fictifs et réels des comédiennes, jamais clairement distingués. Le fond de cette pièce est tout aussi important que sa forme. L’invitation à pénétrer dans l’intimité de ces jeunes femmes devient aussi un biais pour entrer dans celle du spectateur. Chaque personne venue voir Dans Ma Chambre vivra une expérience unique, selon le point de vue spatial qu’il aura eu sur la scène, ou selon les fragments de vie dans lesquels il se sera reconnu.


Dans ma chambre, par la compagnie LAREV.

Dramaturgie et mise en scène: Jimmy Capdevila

Jeu: Pauline Lebet, Elisa Oliveira, Tania Rochat

Scénographie: Samy Conus

bottom of page