La revue culturelle de l'Université de Lausanne
Fécule 2025 - Celui qui dort et le passage mortifère du temps
Erika Castrillón Morales
24 juin 2025 à 16:18:09
Un homme est étendu au sol, son corps reposant au milieu de la scène. Seul dans son appartement, il a perdu tout espoir. Les jours se répètent inlassablement pour lui. Entre les nuages de fumée et la musique qui défile, le temps se confond. Il n’existe plus de passé, de présent ou de futur. Un autre personnage, qui incarne sa conscience, lui reproche son inaction. Milo se couvre avec les draps pour trouver le sommeil, mais cela n’arrivera jamais.
Celui qui dort est la proposition de la compagnie Les Endormis pour le Festival Fécule de cette année. Réalisée par Théo, Milo, Colas et Emmanuel, la pièce est inspirée librement de l’ouvrage Un homme qui dort écrit par Georges Perec, sorti en 1967. La pièce a été suivie d’un bord de plateau qui a permis un espace de partage pour connaître la genèse et le processus de réflexion derrière ce projet. La troupe Les Endormis nous a révélé que cette pièce est née comme un projet intime, qui cherchait à mettre en valeur le monde de la nuit et des enjeux personnels tels que l’addiction et l’isolement. Pour la création du texte, chaque membre a choisi les passages du livre qui résonnaient le plus à leurs yeux. Iels ont fait le tri et ont travaillé ensemble pour les harmoniser.
Le Corps et la Conscience, deux parties d’un même être, nous montrent le péril de la solitude. Une ligne blanche a été placée sur le sol pour les séparer du public. La scène devient ainsi un espace métaphysique d’enfermement. Un endroit qu’on essaie de dépasser mais qu'on hésite à franchir. C’est la conscience qui tente sans cesse de fuir cet espace angoissant. La performance de Milo, qui joue le corps, entraîne une interaction symbiotique avec les accessoires comme les draps qui deviennent une deuxième peau. Ce personnage ne parle pas, ce qui reflète l’état de léthargie qu'il suit.
L’accompagnement musical, créé par Colas, joue un rôle primordial pour la compréhension et la beauté de la pièce. En crescendo, elle signale les moments importants. Pendant que le jeune homme essaie de reclasser son jeu de cartes, la musique s’intensifie tout comme la voix de sa Conscience. Ose, Ose, recommence, recommence ! Sa conscience lui crie d’essayer de sortir de cet état. La musique et la performance artistique vont de pair et ne peuvent pas être dissociées l’un de l’autre. La musique se mélange avec la fumée artificielle et la lumière pour donner un air féérique à cette présentation. La fumée crée des nuages qui reflètent la lumière bleue et blanche. Ces nuages se déplacent vers nous, le public, et leur lente dissipation nous entoure dans ce rêve. La piste sonore baisse petit à petit jusqu’à la fin, mais son écho reste dans nos têtes.
Celui qui dort exprime la lutte entre le corps et la conscience. Entre une partie qui s’est complètement détachée du monde et une autre qui cherche à s'en rapprocher. Avec un récit à la deuxième personne, on s’accroche à l’histoire. La conscience jouée par Emmanuel parle à au Corps, mais il nous parle à nous aussi. On a de la compassion envers ce jeune homme. En parallèle et en position foetale, les acteurs se placent au sol illustrant leur connexion. Un miroir à la fin de la pièce vient les réconcilier par le biais de son reflet, nous a avoué Théo, le metteur en scène, pendant le bord du plateau. Dans les dernières minutes de la pièce, la musique nous envahit. Que va-t-il se passer? Le Corps nous laisse entendre sa voix par un dernier cri qui révèle son intention de sortir de cet état. Trouvera-t-il sa liberté?
Création: Milo Cavandi et Théo Krebs
Mise en scene: Théo Krebs
Jeu: Emmanuel Pollien et Milo Cavandi
Musique: Colas Weber